L’éprise
Le gave est un torrent dévalant la montagne. Parcourant des km, il ne s’essouffle que rarement, parfois perturbé par des obstacles, rochers préoccupants, appelons les chicanes, tantôt par des reliefs tortueux qui fait plier sa course, appelons les méandres.
Les cours d’eau sont des récits qui parlent bruyamment. De la première goutte d’eau, la plus haute (en amont) à la dernière goutte d’eau, la plus basse (en aval), il reste un torrent.
N'y voyez pas un flux, un mouvement. N’y voyez pas qu’il change, qu’il est un symbole de l’impermanence. Ne croyez même pas qu’il descend. Ne croyez pas non plus qu’il vous entend.
Les histoires qu’il raconte ne se lisent pas de gauche à droite (ni de droite à gauche). Elles ne cherchent pas un sens et d’ailleurs n’en trouve pas. Tous les mots se mélangent et les élucubrations et les tergiversations et les pérégrinations n’aident en rien. Détournez-vous.
« Nul n’entre ici s’il n’est géographe » aurait dit la montagne. Les calculs : illusions arithmétiques, détours algorithmiques, impasses géométriques. Les métriques sont des méprises.
La nappe des grandes landes ne se mesurent qu’en échappée. Celle qui part de la clairière maculée de genêts et de mimosas (les jeunes plants ne fleurissent pas encore, sont difficiles à déchiffrer). Trouée de pins maritimes, elle a tenté d’accrocher au relief des ajoncs, des bruyères, quelques fougères, un cluster végétal sur l’épaisse portée. Improvisation libre.
Parfois le paysage ralentit, se disperse (le torrent immobile est toujours en observation). Il « donne lieu » à une clairière, ce « centre vide ». La pinède aussi manque d’air (parfois elle tremble). N’y voyez pas d’énigme.
Un vallon envahi par le sable peut décider de fuir. Grain après grain, la terre quitte la terre pour retomber par terre. Chaque gravier de rivière y pense et le crie, le dit, parfois le chante. Le lit de la rivière se meut, ménage, il agence. Éprise pas étreinte, la montagne consent.
Nous continuons à marcher. Peu d’échos parmi l’orchestre.
Nous décantons les paysages.